jeudi 7 janvier 2010

L'âme de fond





Il avait formulé sa demande à plusieurs reprises et j'avais toujours ajourné, trouvant toujours mille excuses qui n'étaient pas de vraies raisons. Le temps a glissé sur lui, laissant des chaussures trop petites et des pantalons trop courts, emportant ses dents de lait et ses fossettes aux coudes. Le temps n'a été qu'usure chez sa compagne de toujours, celle que j'avais achetée très vite après ce jour de la révélation de son identité, l'instant où j'avais posé ma main sur mon ventre en l'appelant par son prénom, comme on enferme un caillou précieux dans un mouchoir brodé... Elle a été de tous les instants, dormant avec moi les derniers mois de l'attente pour s'imprégner de mon odeur autant que de son rôle à venir. Elle a été offerte par le frère devenu grand en quelques heures et déposée dans le berceau pour veiller sur le tout-petit qui, en silence, devenait grand... Elle a essuyé les larmes et quelques pointes de feutre. Elle s'est fait suçoter et tirer les oreilles, croquer les pattes et câliner souvent. Elle a vécu les jours d'hôpital et les autres maladies, connu les siestes à l'école, les colonies de vacances et les maisons des amis. Elle en sait plus que moi sur la vie des secrets quotidiens. Le temps n'a pas glissé sur elle, Quenotte, la souris née vichy bleu ciel qui a changé de costume plusieurs fois. Ses oreilles sont devenues plus petites et son ventre moins rond... Ces derniers temps, je la voyais moins parce qu'elle restait plus souvent dans le lit de celui qui a encore besoin d'elle pour dormir, pour se rassurer, pour affronter les ombres qui dansent sur les murs de sa forteresse... Hier, il me l'a apportée et j'ai mesuré l'urgence. Je savais qu'au-delà des soins à prodiguer sur cette souris loin de la retraite, il y aurait dans mes gestes une façon de lui dire que j'avais oeuvré pour lui, que cette fois mes aiguilles ne s'occuperaient que de lui et que cela aurait autant de valeur qu'un jeu partagé ou une sortie en tête-à-tête... Il était à l'école quand j'ai sorti le vieux pyjama qui avait appartenu à sa première soeur et avec lequel j'avais réparé son ours. J'ai trié les tissus qu'il choisirait à son retour et j'ai commencé à découper soigneusement à la façon d'un chirurgien chaque partie du corps affaibli. J'ai décousu les yeux et le museau que j'avais déjà récupérés une première fois, il y a quelques années... Il a choisi son tissu en me consultant, lui qui a toujours beaucoup de mal à choisir seul et à décider mêmes les choses les plus anodines. Et puis il m'a fait confiance, bien conscient qu'il n'y avait pas d'autre solution que de refaire totalement celle qui ne garderait de ses origines que l'âme qu'il avait mise en elle dès ses premiers jours de vie. Il savait et caressait déjà l'éponge velours qui deviendrait les oreilles, les pattes et la tête... Je n'avais pas terminé à l'heure de rejoindre Morphée alors, comme une invitation impromptue au privilège, il est resté avec nous pour regarder un des films que j'ai reçus en cadeau à Noël, une part de mon enfance un peu décalée, ce genre de souvenirs qu'on aime partager avec ceux qui nous suivent, ce qui devient un héritage autant qu'une culture. Il a été le seul à avoir le droit de veiller et ce privilège lui a soudain murmuré qu'il avait bien la place dont il doute parfois, la place de celui qu'on aime, malgré ses rébellions, une place unique pour quelqu'un de singulier, pas seulement le numéro deux de la fratrie, pas seulement le cadet des garçons... Il a regardé chaque étape. Les points autour des pattes, la couture des oreilles... Il s'est amusé des gags de Monsieur Hulot autant qu'il a savouré le silence du bout du couloir, celui qui racontait le sommeil de ses frère et soeurs. Quand le film a laissé place au générique, il me restait encore quelques points à faire. Alors il a eu droit à un court-métrage... et puis au début de Mon Oncle. Il était près de 23 heures quand il a pu serrer sa Quenotte dans ses bras. Elle n'avait plus rien de commun avec celle qu'elle était le matin-même, si ce n'étaient les yeux et le museau. Et puis cette âme qui fait qu'elle reste celle, la seule, l'unique, qui l'aide à trouver le sommeil, depuis bientôt dix ans...




25 commentaires:

BoB a dit…

Lirai plus tard la prose mais parcouru en diagonale, j'y reviendrai, m'a l'air fort bien écrit tout ça mais une question c'est la session mouchoirs everywouere ce soir?

BoB

so a dit…

T'as bien fait pour le blabla finalement ! merci.

helen. a dit…

uN JOLI Récit !

Dorémi a dit…

Encore une belle opération tissurgicale. Et un joli récit. Merci.
À très bientôt.

PapillonVole a dit…

...et ton doudou à toi? Faut pas l'oublier demain! ;-)

Anonyme a dit…

gloups, c'était il...

Anonyme a dit…

Quenotte, c'était le surnom de mon deuxième fils...

Telle

Anne a dit…

Vous avez bien fait d'écrire....Pour un neveu, j'ai fait de même, il y a quelques années, puis à nouveau cet été. L'animal chéri, Lulu un chat, est reparti en colissimo avec un petit livre racontant l'opération chirurgicale, avec des photos. J'ai eu grand plaisir à faire cela.

annefromhk a dit…

bien fait d'ecrire qd meme... bonnes wacances, anne(fromhk)

lamereloie a dit…

Tuas bien fait de nous mettre ton "bla-bla" comme tu dis...et la jolie photo d'en-tête!
Belle réfection, plein d'amour et de sens!

Anonyme a dit…

Merci pour le blabla !
Chez nous c'est un clowm qui vient d'avoir 10 ans et n'est plus que l'ombre de lui-même ...
Albe

gwen a dit…

Un bla-bla écrit comme ça,on veut en lire tous les jours...

Cath a dit…

Tu as eu raison de rajouter le blabla !!

Tu devrais te lancer dans la chirurgie esthétique des doudous....lol lol lol lol

Rosalie a dit…

Ca me touche beaucoup ce que vous avez écrit là, chez nous aussin on répare les doudous, c'est si important, je me souviens de ma grand mère réparant le mien, celui que je garde encore pas trop loin de mon lit. Et en plus cette chirurgie réparatrice est vraiment très réussie.

sous le figuier a dit…

Quelle chance d'avoir une maman si talentueuse et aussi douée en couture !!!!

sylvie a dit…

Merci pour le blabla.

Anonyme a dit…

Quelle belle veillée créatrice vous avez vécue tous deux !
Blanche.

LOUADELIAS a dit…

Que j'aime quand tu racontes...
On reconnaît très bien le doudou ; l'intervention est réussie!
Bises,
Alexandra

madame Dé a dit…

Ca aurait été bête que tu ne nous mettes pas ton blabla!
C'est très touchant, d'autant que cette place de 2ème n'est décidément pas facile... on s'en voit avec Pimpin ici!

Co de contes a dit…

tu as réussi..à me faire monter les larmes aux yeux..
quelle tendresse.;quel amour...
je sais que sous l'oreiller..bien caché..dans le lit de mon N°4.;dort un doudou..lapin...rapiécé aussi..je sens son odeur rien que d'en parler...

Anonyme a dit…

Back la mère des près? scotchée dans son atelier?
Fais le plein de tissus provenssaux?
Allez bon retour et bon atterrissage

BoB

morgy a dit…

c est tres beau

Princesse a dit…

"Le frère devenu grand en quelques heures...", c'est exactement ça!

Elolili a dit…

Merci pour ce très beau texte ! Le doudou a gardé son âme...

Mes p'tits princes a dit…

Pitite larmichouille à l'oeil en lisant çà...torp mignon, trop touchant. Et ce p'tit bonhomme....trop mimi!!
PS: Je me souviens encore de ma grand mère qui a du changer à maintes reprises la tenue de mon ours "coco", qui encore maintenant, ne dors pas très loin de moi! C'est TREEEEES important un doudou. N°2 a bien raison de prendre soin de quenotte!!